Mission 3 Indiscrétions humaines [Shin-Joan]

Joan finit sa série de pompes tranquillement, sans que son souffle ait accéléré ou ait simplement décidé de faire grève. Elle se redressa et s’assit en tailleur au milieu de son appartement pour prendre plusieurs longues respirations et faire ralentir son cœur. Elle avait beau effectuer ces séances de renforcement musculaire tous les jours une heure par jour, il lui en fallait toujours plus. Un genre d’addiction qui par sa nature même d’addiction était mauvais, malgré l’aspect positif de l’objet de cette addiction. Après tout, en quoi la pratique du sport pourrait-elle être néfaste ? L’abus de quelque chose, quelle que cette chose soit, est dangereux.

En dépit de la sensation insistante et désagréable qui courait dans tout son corps et ses muscles, et qui la poussait à continuer son exercice, elle se força à renoncer. Elle put presque percevoir l’indignation de son organisme, qui voulait continuer l’effort, et continuer à créer les délicieuses endorphines. L’image qui lui vint à l’esprit, d’un bonhomme enfantin réclamant plus de sucre, si savoureux, la fit rire et troubla sa concentration. Elle secoua la tête, ses cheveux sombres flottant autour de son visage, et replongea dans son monde de méditation.

Profitant de chaque expiration, elle étirait ses muscles épuisés par sa séance du jour, à laquelle elle avait ajouté quelques enchaînements de pieds et de poings qu’elle avait travaillés jusqu’à les maîtriser parfaitement. En nage, le souffle court et les bras tremblants, elle s’était réfugiée avec délice dans les exercices au sol. Après une trentaine de pompes, fractionnée en trois dizaines entrecoupées d’abdos, elle s’adonnait maintenant à de salutaires étirements.

Enfin, elle se laissa tomber en arrière, étendue sur le sol, apaisée. Il lui fallu faire appel à toute sa volonté pour se lever et gagner sa salle de bains. Elle resta sous la douche une éternité, manqua de s’endormir sous l’eau, une fois que la fatigue lui fut retombée dessus, mais parvint à se sortir de la petite pièce sans se noyer. Alors qu’elle gagnait sa chambre, elle eut une pensée euphorique à l’idée que le lendemain, elle partirait en mission avec un inconnu. Elle ignorait combien de temps elle resterait sur Terre, lieu où il devaient se rendre. Un nouveau pincement d’excitation lui donna un coup de peps, la faisant sautiller jusqu’à sa chambre. Il faisait nuit depuis deux heures, et la fatigue la rattrapait, de plus, le lendemain, elle devrait être en forme. Elle enfila un pyjama confortable et se glissa sous les draps.

Elle ferma les yeux, confortablement roulée en boule, la tête posée directement sur le matelas et dédaignant l’oreiller. Elle trouva le sommeil rapidement, malgré une dernière pensée légèrement angoissante : et si elle croisait son père, en bas ? Certes, il y avait plusieurs milliards d’êtres humains sur Terre, et ils n’iraient pas obligatoirement en France… mais la célèbre loi de Murphy la mettait mal à l’aise à ce sujet.

Un rayon de soleil traversant ses rideaux vint danser sur ses paupières fermées, la réveillant en douceur. Lentement, elle se dégagea des bras de Morphée, ouvrit ses rideaux et grand et entreprit de se préparer à sortir. Cette fois, elle avait la flemme de se déguiser, aussi elle de contenta d’enfiler un pull léger à manches longues et un pantalon en toile résistante, une paire de chaussures solides mais confortables, et attrapa un manteau long qu’elle passa en travers de son épaule. Ayant entendu qu’ils risquaient de tomber sur de la résistance, la rouquine déballa avec un brin d’excitation féroce un paquet contenant une boîte en bois vernis. Elle l’ouvrit et en sortit deux couteaux jumeaux aux manches gravés en miroir. Elle les avais dénichés dans une petite boutique de la ville, et bien qu’ils ne paraissent pas exactement destinés au combat, plutôt à la décoration, c’était mieux que rien. Après tout, cinq pouces d’acier coupant restaient cinq pouces d’acier coupant ! Elle en glissa un dans chaque chaussures, le métal froid collé contre sa cheville, passa les bras dans les manches de son manteau et sortit.

Elle n’était pas en retard, aussi prit-elle son temps. Elle avait fait son repérage en amont, et n’eut aucun mal à retrouver son chemin jusqu’à la porte menant au monde des vivants. Elle s’arrêta bien avant, attendant son partenaire de mission, qu’elle n’avait encore jamais vu, ni en ville, ni à Noël, ni nulle part ailleurs. Etait-ce un nouveau venu ? Un ancien reclus ? A nouveau, elle se posa la question qui lui avait déjà traversé l’esprit lors de sa rencontre avec l’As de Pique, des mois plus tôt. Depuis combien de temps était-il là ? Et surtout, de quand venait-il ? Etait-il possible d’être mort il y a des siècles et de ne retrouver ici que maintenant ?

Une nouvelle réflexion, plus glaçante encore, lui glaça les sangs : et si en redescendant sur Terre pour cette mission, elle s’apercevait qu’elle était restée… en stase ? entre deux mondes pendant suffisamment longtemps pour que le monde ait changé ? Bon, au moins, ça répondrait à ses interrogations…